Une aulnaie marécageuse à Ploegsteert.
Projet de boisement d’une argilière dans la
Réserve Naturelle et Ornithologique de
Ploegsteert (RNOP) – Juillet 2020
Yves Dubuc
Introduction
Les Briqueteries de Ploegsteert, propriétaires de la Réserve Naturelle et Ornithologique de Ploegsteert, ont entamé en 2016 l’excavation d’une nouvelle argilière. La fosse 4, ainsi dénommée par l’exploitant, se trouve de l’autre côté de la RN58 par rapport à la RNOP.
Nous projetons de boiser entièrement cette zone d’une superficie de 15 hectares (à droite de la RN58 sur la prise de vue aérienne ci-dessus, avec un contour en jaune) et ce au fur et à mesure de l’avancement de l’extraction.
Le boisement
- Inspiration et motivation
Autant la littérature abonde d’exemples détaillant les différentes façons de gérer une roselière dans une zone humide, autant il est difficile de trouver des antécédents sur l’opportunité de boiser une argilière.
Nous savons par expérience qu’une argilière laissée à elle-même après exploitation se transforme en quelques années en un bassin d’eau libre dont la profondeur peut atteindre les quatre mètres, ce qui ne laisse que peu de place à la biodiversité.
Lorsque la profondeur d’eau est maintenue par pompage à un niveau souhaitable pour le développement des roselières, nous avons pu observer que les fonds d’argilière sont rapidement envahis par les saules et bouleaux sur les parties les moins engorgées. Sans intervention, au bout d’une dizaine d’années, les roselières ont déjà fortement régressé. Après 20 ans, elles couvrent moins de la moitié de leur surface initiale et le processus tend à s’accentuer encore par la suite.
Il est clair que le maintien de roselières pures dans ces parcelles, dont l’exploitant confie la gestion à la RNOP, ne semble pas réalisable sans d’importants travaux de grue de type étrépage.
Comme l’utilisation d’herbicides n’est pas envisageable et que nous ne souhaitons pas d’interventions mécaniques lourdes, nous avons choisi de boiser toute cette zone, sans attendre la fin de l’exploitation du site, et ce de manière à contrer l’envahissement par les saules déjà bien avancé en 2020 sous forme d’un abondant tapis de semis spontanés haut de 20 cm à plus d’un mètre par endroits.
Notre choix est également motivé par notre volonté de créer des habitats les plus diversifiés possibles au sein de la Réserve : roselières, mégaphorbiaies, saulaies entrecoupées de petites roselières, plans d’eau libre et boisements purs avec mares forestières. Avec cette aulnaie marécageuse, nous allons créer un habitat rare en Wallonie qui devrait nous apporter tout un cortège d’espèces nouvelles.
1.2 Nature du sol
Dans le fond des argilières, nous retrouvons un sol limoneux/argileux totalement engorgé. La couleur grise du substrat est caractéristique du gley ou pseudogley.
Le profil de sol brusquement mis à nu suite à l’extraction, 7 à 8 mètres sous le niveau des terres agricoles initiales, présente une grande pauvreté en nutriment. Peu d’espèces végétales tolèrent ce type de sol pauvre et engorgé.
Un avantage toutefois à cette situation pour notre boisement : pas de stress hydrique en période estivale. Ce qui représente un atout certain compte tenu des bouleversements climatiques que nous connaissons.
1.3 Quelles essences d’arbre planter ?
Espèce typiquement pionnière, le saule cendré ou saule gris (Salix cinerea) s’implante spontanément dès les premières années, ainsi que le bouleau verruqueux (Betula pendula) et d’autres types de saules. Nous luttons partout dans la RNOP contre l’envahissement par les saules. Il ne serait donc pas cohérent de vouloir maintenir cette espèce en grand nombre dans notre futur boisement. Le bouleau verruqueux quant à lui périclite au bout d’une dizaine d’année, probablement victime de l’asphyxie du sol.
La seule espèce parfaitement adaptée aux sols pauvres et engorgés – ses racines doivent même être en contact direct avec la nappe phréatique – est sans conteste l’aulne glutineux (Alnus glutinosa). Il préfère toutefois un sol ressuyé en surface durant la période de végétation.
Il peut atteindre 20 à 25 mètres de haut avec un port pyramidal mais la taille moyenne est de 10 à 15 mètres. C’est une espèce typique des bords de rivière et des zones marécageuses.
Malgré son caractère d’espèce pionnière, les conditions favorables sont rarement atteintes pour les semis spontanés dans le fond des argilières. La plantation est donc nécessaire.
C’est une espèce héliophile, disparaissant lorsque s’installent des essences à haut pouvoir de concurrence comme le chêne.
Indifférent à la richesse du sol, l’aulne connaît une bonne croissance dès la première année. Son fort développement dès la troisième année permettra d’étouffer littéralement les saules qui se trouveront sous son couvert.
De plus, l’aulne glutineux est capable de fixer l’azote atmosphérique dans des nodosités au niveau de ses racines et permet ainsi d’enrichir le sol. Ce qui pourra profiter aux arbres qui l’accompagnent ou lui succèderont.
L’aulne représentera 80% des plantations initiales de manière à permettre l’enrichissement du sol sur la quasi-totalité du site. Les 20% restants seront constitués par le chêne pédonculé (Quercus robur), le bouleau pubescent (Betula pubescens) et l’érable sycomore
(Acer pseudoplatanus). Ces trois dernières espèces tolèrent également un certain engorgement du sol.
A terme, le développement rapide de l’aulnaie devrait entraîner un abaissement de la nappe phréatique et permettre alors une diversification plus grande des plantations après dépressage. Pourraient notamment être plantés : le charme (Carpinus betulus), le chêne sessile (Quercus petrea) et certaines espèces de peupliers.
Côté arbuste, seront aussi testés : le cerisier à grappe (Prunus padus) et la bourdaine (Rhamnus frangula).
Sur les berges de l’argilière, peu de contrainte exceptée la pente. Nous privilégierons donc une diversité maximale des essences plantées.
- 4 Technique de plantation
Les plantations initiales se feront moyennant une densité approximative de 2000 arbres par hectare, soit plus ou moins 1 arbre tous les 2 mètres dans tous les sens.
Dès la troisième année après les premières plantations, débutera le recépage dans les plantations d’aulne de manière à limiter la concurrence qu’ils occasionnent vis-à-vis des chênes, bouleaux et érables plantés en mélange. Les premières coupes se feront à une cinquantaine de centimètre du sol. On relèvera ensuite la taille en fonction de la hauteur des chênes, érables et bouleaux plantés sur les rangées voisines de manière à permettre un ensoleillement suffisant pour ces essences.
L’exploitation du site par les Briqueteries se terminera vers 2027 mais les plantations se poursuivront jusqu’en 2030 pour couvrir la parcelle en totalité. Le dépressage (suppression des arbres excédentaires pour ne garder que les plus beaux sujets) déjà bien engagé se poursuivra encore durant une dizaine d’années. Il sera accompagné de la plantation d’autres essences plus exigantes.
La gestion du site devrait se terminer vers l’an 2040 et le boisement pourra alors «vivre sa vie» sans intervention, si ce n’est l’entretien des allées forestières. L’abaissement de la nappe phréatique permettra de limiter au maximum le pompage. Nous accèderont ainsi à un certain niveau de résilience, ce qui est un de nos objectifs majeurs dans la gestion de la Réserve.
- 5 Planning de plantation sur 10 ans
Période de plantation | Surface couverte | Nombre de plants |
Hiver 2020 | 0.5 hectares | 1000 plants |
Hiver 2020/2021 | 2,5 hectares | 5000 plants |
Hiver 2021/2022 | 1.5 hectares | 1000 plants |
Hiver 2022/2023 | 1.5 hectares | 5000 plants |
Hiver 2023/2024 | 1.5 hectares | 3000 plants |
Hiver 2024/2025 | 1.5 hectares | 3000 plants |
Hiver 2025/2026 | 1.5 hectares | 3000 plants |
Hiver 2026/2027 | 1.5 hectares | 3000 plants |
Hiver 2027/2028 | 1.5 hectares | 3000 plants |
Hiver 2028/2029 | Berges après fin d’exploitation | 2500 plants |
Hiver 2029/2030 | Dépressage et nouvelles plantations | 500 plants |
Donc 30.000 plants à mettre en terre en 10 ans sur cette parcelle de 15 hectares !
2. Évolution probable et espérée du site
Nous pouvons compter sur la fertilisation du sol grâce à l’azote capté par l’aulne et fixé au niveau de ses racines et l’apport important d’azote par les feuilles tombées et branches coupées (recépage) et laissées sur le sol.
On peut également escompter un abaissement significatif de la nappe phréatique et donc une diminution de la quantité d’eau à pomper. Selon une étude menée par l’UCL, une forêt arrivée à maturité peut perdre jusqu’à 1,7 litres par évapotranspiration en un jour (juin) pour une surface d’1 mètre carré. Soit environ 250 m³ par jour pour nos 15 hectares.
Quant le peuplement aura acquis une certaine maturité, une flore typique des forêts alluviales apparaitra et les roseaux, massettes et saules auront presque disparus, excepté dans les zones maintenues ouvertes.
3.Phytophtora alni
Il s’agit d’un champignon provoquant le dépérissement des aulnes.
Les spores sont véhiculées par l’eau et le mycélium attaque les racines de l’arbre.
Les précautions à prendre dans notre cas :
• Ne pas planter le long du fossé de drainage
• Recépage des arbres malades en hiver. En effet le parasite semble incapable de transiter de la souche vers les rejets
• Laisser sur place les branches coupées lors du recépage ou dépressage. Eviter le broyage ou l’enfouissement des déchets
4. Le Bois de l’Espoir
Enfin, pour personnaliser cette plantation, il fallait lui trouver un nom. « Le Bois de l’Espoir » m’a paru lui convenir tout particulièrement. Mais pourquoi associer le mot Espoir à un boisement ?
Parce que, lorsqu’on plante un arbre, c’est pour les générations à venir. Cela sous-entend que, malgré le catastrophisme ambiant, on a encore confiance dans un avenir où il fera bon vivre pour nous, nos enfants et petits enfants.
Parce qu’on innove en voulant planter un bois dans une argilière, à huit mètres sous le niveau du sol originel, dans un sol ponctuellement engorgé.
Parce qu’en stockant des quantités énormes de carbone, on participe à la lutte contre le réchauffement climatique. Preuve qu’il est encore possible d’inverser un processus de destruction qui semblait irréversible.
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Appel aux bénévoles
Pour éviter la banalisation des milieux et offrir au public un accès aisé aux différentes parties de la Réserve, il est nécessaire de pratiquer un minimum d’interventions.
Sans cela, les berges et chemins se boiseraient rapidement, rendant le cheminement impossible sur le site. Sans pompage, les trous se rempliraient d’eau en quelques années et adieu les roselières et toute la fauneet la flore qui en dépendent.
Des plantations sont également utiles dans les zones nouvellement rendues à la nature afin de créer plus de biodiversité dans les peuplements.
Ces travaux ont lieu :
le 4° samedi de mars
le 4° samedi de juillet
le 4° samedi de septembre
le 4° samedi de novembre
Si la sauvegarde des milieux naturels vous intéresse et que vous souhaitez participer aux journées de travaux de gestion à la RNOP, merci de nous contacter par mail en précisant vos noms et prénoms.