Historique de la réserve

La passion d’une vie

D’aucuns s’étonneront de la présence d’une réserve dans un paysage purement agricole comme le nôtre. Nous ne possédons pas les richesses naturelles des polders ou des milieux dunaires de Flandre, ni la diversité des forêts ardennaises ou des bocages campinois. Et pourtant, une réserve naturelle de près de 120 hectares, la troisième plus importante par la taille du Hainaut, a bien vu le jour dans notre entité, et ceci dans le plus grand anonymat.

La chose est si surprenante que bon nombre de Cominois n’en soupçonnent même pas l’existence, alors que celle-ci évolue à leur porte.

L’initiative en revient à une seule personne, un amoureux de nature, passionné par la gestion des milieux naturels et l’ornithologie. C’est en 1961, que José Tahon, de retour dans notre région après un séjour écourté au Congo, se fait embaucher par les Briqueteries de Ploegsteert. Très vite, il gravit les échelons de la hiérarchie, ce qui lui permet de se rapprocher des gérants de l’entreprise. Une complicité s’installe entre José et son patron, Mr Joseph De Bruyn, avec lequel il partage un intérêt commun pour les beautés de la nature.

Quand il débute sa carrière à Ploegsteert, José ne connaît encore rien aux oiseaux mais la nature l’attire. Après sa journée de travail, il aime à flâner le long des « trous » comme disent les gens du pays. Une grande roselière et une saulaie occupent la majeure partie de l’argilière en exploitation et bon nombre d’oiseaux y ont déjà élu domicile. A l’automne, il ne manquerait pour rien au monde les rassemblements d’hirondelles rustiques qui s’abattent dans la roselière afin d’y passer la nuit.

A partir de ce moment, José n’aura de cesse de tout mettre en œuvre pour que la nouvelle argilière ne connaisse pas ce triste sort. C’est à cette époque qu’il tombe par hasard sur un bagueur originaire de son village natal de Messines. Il participera régulièrement aux séances de bagages dans les roselières et aux abords des argilières. L’observation des oiseaux pris en main l’impressionne et l’incite à approfondir ses connaissances. C’est par ces observations particulières qu’il fait ses premiers pas en ornithologie, sans guide d’identification et en utilisant la vieille paire de jumelles que son père avait ramené d’Allemagne pendant la guerre 40-45.Mais, en 1964, survient un événement qui va changer toute sa vie. L’argilière en exploitation est abandonnée au profit d’une nouvelle zone non loin de là. Les pompes qui évacuaient les eaux excédentaires vers le ruisseau de la Rabecque sont retirées pour être installées dans la nouvelle parcelle en activité. La conséquence immédiate est la montée inexorable des eaux de sources dans l’argilière abandonnée. José voit alors disparaître sous ses yeux un fabuleux marais qui avait mis près de 20 ans à s’installer. Deux ans plus tard, la roselière a déjà totalement disparue sous les flots, seuls émergent encore les saules et les bouleaux. Quelques années plus tard, il sera décidé d’en confier la gestion à un groupe de pêcheurs qui fonderont la société de pêche VPW – Vrais Pêcheurs de Warneton.

En 1969, le projet de création d’une réserve a déjà bien mûri dans son esprit et José décide donc d’en faire part à Mr Joseph De Bruyn. Ce dernier accueille tout d’abord l’idée avec surprise, voire avec une certaine ironie : quel intérêt y a-t-il à créer une réserve naturelle ? La réflexion peut paraître étonnante aujourd’hui mais à l’époque le concept d’écologie n’était pas encore à la mode et la grande majorité des propriétaires de briqueteries et de carrières de notre région délaissaient les zones d’extraction, une fois l’exploitation terminée, quand ils ne les faisaient pas tout bonnement combler avec des déchets en tout genre. Mais José se montre persuasif, et Mr De Bruyn marque son accord sur le maintien des pompes.

A l’époque, José a déjà bien compris que le contrôle du niveau des eaux constitue la pierre angulaire de la gestion des marais. La première action fut donc de déplacer les pompes vers le front d’extraction pour une surveillance plus aisée. Il se fait à cet égard un allié de Mr Dezwarte Henri, responsable de la « terrasse » (front d’extraction).

Les années passent et, tout en maintenant sous surveillance la future réserve, il poursuit son apprentissage de l’ornithologie. En 1971, il achète son premier guide d’identification « Het Beste Vogelboek » édité par Reader’s Digest. Cela deviendra très vite son livre de chevet – qu’il utilise encore occasionnellement aujourd’hui.

En 1976, l’extraction est terminée dans l’argilière mise sous surveillance depuis des années. Dès 1977, une campagne de plantation est entamée et durant les vingt années qui suivent, près de 30.000 arbres seront plantés sur les berges de l’argilière : principalement des aubépines et des aulnes dont les fruits constituent un véritable garde-manger hivernal pour les oiseaux. L’opération sera rendu possible grâce à l’aide des sections du Wielewaal d’Ieper, de Brugge, de Roeselare et d’Oostende ainsi que de quelques bénévoles de l’entité. L’achat des arbres est financé grâce au mécénat providentiel des Briqueteries de Ploegsteert. Ce soutien financier et logistique ne défaillira pas par la suite et se poursuit encore de nos jours.

Autre travail de Sisyphe : l’élimination des saules ! Fait inévitable, ceux-ci ont largement envahi le marais. Il s’avère donc indispensable de les éliminer par tous les moyens possibles pour favoriser l’émergence d’une roselière pure et une diversité des milieux.

En 1979, José rencontre le gestionnaire d’immenses réserves naturelles aux Pays-Bas dans lesquelles on sème les roseaux par avion. Il s’agit de « Oostvaardersplassen » près de Lelystad. Il va y passer une semaine entière à visiter les différentes réserves et à discuter des techniques de gestion. Le conservateur lui propose l’utilisation d’une toute nouvelle méthode, aussitôt testée à Ploegsteert et le résultat est très vite concluant. De magnifiques roselières d’une pureté étonnante sont ainsi maintenues, faisant la fierté de la réserve.

En 1980, le « Comité de Gestion et de Défense de la Réserve Naturelle de Ploegsteert » est créée.

Durant des années, il poursuit son engagement dans la protection de l’environnement et rencontre quelques grands noms de la conservation naturaliste tels que Henri Franckx – Vice-Président de l’association ornithologique « De Wielewaal » (1969-1970), Dr Eckhart Kuijken – Président de « vzw Natuurreservaten » (1980-1986), Paul Houwen – ancien conservateur de la réserve naturelle « De Blankaart » et encore Guido Burggraeve – ancien conservateur de la réserve naturelle « Het Zwin ».

De 1988 à 1992, José assume les fonctions de Président de la section « De Wielewaal » d’Ieper. Il participe à de nombreux voyages ornithologiques à l’étranger et notamment dans le Delta du Danube en Roumanie, les Carpates et dans les Pyrénées espagnoles, région qu’il affectionne tout particulièrement.

En 1989, arrive la première récompense ornithologique avec la nidification de l’échasse blanche à la réserve. L’événement sera homologué comme le premier cas de nidification de cette espèce en Wallonie.

En 1994, le site est classé en ZHIB – Zone Humide d’Intérêt Biologique et quelques années plus tard en Natura 2000.

En 1996, le prix Henry Ford (1er prix catégorie environnement) récompense la gestion exemplaire qui a été menée dans ce site industriel rendu à la nature.

Ce n’est qu’en 2001, que l’asbl RNOP – Réserve Naturelle et Ornithologique de Ploegsteert -est créée, officialisant ainsi le comité de gestion.

Cette année 2013 nous offre enfin une seconde primeur avec le premier cas de nidification pour la Belgique de la grande aigrette, couronnée par l’envol de deux jeunes.

En 40 années d’existence, ce n’est pas moins de 220 espèces d’oiseaux qui ont pu être observées à la réserve. Soulignons à cet égard les nidifications avérées du Blongios nain, du Busard des roseaux, de l’Hibou moyen duc, du Grèbe à cou noir, de la Grande aigrette et de la Gorgebleue à miroir blanc.